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Bénis furent les enfants juifs
Un universitaire de Toronto jette une nouvelle lumière sur les relations entre le Vatican et le Congrès Juif Mondial, à l'époque où milliers d'enfants [juifs] étaient élevés en tant que catholique et baptisés pour les préserver de l'Holocauste.
Par Michael Valpy
The Globe And Mail, October 29, 2005
http://polish-jewish-heritage.org/Eng/05-11_Blessed_were_the_Jewish_children.htm
Un Canadien spécialiste de l'Holocauste lève le voile sur l'une des plus douloureuses et polémiques controverses de la Seconde Guerre mondiale : le rôle que joua le pape Pie XII, alors que des responsables juifs s'efforçaient de récupérer les enfants juifs confiés à des catholique pour les sauver des camps de la mort Nazis.
Les recherches de l'historien Michael Marrus offrent de façon surprenante un regard inédit sur un débat qui engagea les universitaires, le Vatican, les catholiques et les organisations juives dans des combats venimeux, depuis la publication l'an dernier (2004, N.d.T) d'un document supposément porteur d'instructions du pape, et stipulant que la garde de ces enfants devait rester aux catholiques.
La gestion par l'Eglise du sort des enfants juifs survivants fut comme un abcès dans une polémique plus large impliquant Pie XII, à présent en voie d'être sanctifié. Ses opposants l'accusent d'antisémitisme et d'être resté silencieux pendant que les Nazis massacraient six millions de Juif ; ses défenseurs louent un pape qui oeuvra discrètement pendant toute la guerre pour sauver les Juifs de l'extermination : "ceci est la plus longue controverse de l'histoire," explique le professeur Marrus. "Elle n'est pas prête de s'éteindre."
Ce document, dont l'intention apparemment est de donner des instructions aux évêques de France, bien que personne ne puisse dire s'ils en ont eu effectivement connaissance, fut tour à tour qualifié d'intox anti-pie XII ou de preuve irréfutable que Pie XII fut, comme le dit un historien d'Harvard [Daniel Jonah Goldhagen, qui n'est pas historien mais diplômé de sociologie à Harvard, N.d.T], un criminel kidnappeur d'enfants.
Utilisant une foule de documents d'archives juives encore non exploitée, le professeur Marrus ne rélève pas [sur cette question des enfants juifs] un conflit ouvert entre le pape et les Juifs, mais une histoire fascinante et profondément humaine de responsables catholiques et juifs, s'efforçant de résoudre une question complexe et difficile à travers le chaos de l'Europe d'après-guerre, surmontant un abîme culturel et une méfiance mutuelle pour agir avec hésitation mais aussi énormément de bonne volonté.
On ne peut trop insister sur l'importance après la guerre qu'avaient les enfants aux yeux des communautés juives. Ainsi que le déclare un acte du Congrès Juif Mondial en 1945 : "nous sommes devenus pauvres en enfants juifs, et par conséquent la valeur de chaque enfant juif est inestimable à nos yeux."
Sur les six millions de Juifs assassinés, un million furent des enfants. Le CJM estime qu'à l'époque entre 200 000 et 300 000 enfants avaient survécus, dont 75 000 étaient orphelins. Le nombre de ceux qui furent protégés par des institutions et des familles non juives ne sera jamais connu précisément.
L'attention en cette periode d'après-guerre se porta instantanément en France, qui avait le plus grand nombre d'enfants ayant survécu - à peu près 30 000 - grâce aux efforts fournis pour les sauver, et parce que le territoire fut libéré près d'un an avant les autres pays occupés. Il y eut probablement plus de baptêmes clandestins en France qu'ailleurs. Pourtant, sur un nombre estimé de 1200 enfants pris en charge par des non juifs à la fin de la guerre, le professeur Marrus démontre que seuls cinquante auraient pu être convertis, contre des milliers qui furent sauvés d'une mort certaine.
Ses recherches mettent en lumière les réunions à propos de ces enfants tenues par Pie XII et d'autres hauts responsables de l'Eglise et des chefs de la communauté juive : Léon Kubowitzki, secrétaire général du CJM ; Gerhart Riegner, directeur du bureau genevois du CJM, et Isaac herzog, le légendaire grand rabbin de Jérusalem.
Le professeur Marrus dresse un portrait de Pie XII - l'aristocratique italien Eugenio Pacelli - prenant place avec les responsables juifs et demandant des rapports détaillés sur la situation des enfants juifs encore sous la garde de catholiques, rapports que ces responsables promirent de lui donner mais ne purent faire, n'ayant aucune idée du nombre de ces enfants ni du lieu où ils se trouvaient.
Le professeur Marrus décrit le rabbin Herzog se faisant présenter à Pie XII, et lui faisant part immédiatement d'une analyse biblique d'un discours public que le pape prononça quelques jours auparavants. "Deux rabbins n'auraient pas conversé différemment," déclara le professeur Marrus.
Il raconte comment Pie XII donna au rabbin Herzog l'autorisation de se prévaloir du soutien du Vatican s'il venait à rencontrer des résistances pour récupérer les enfants.
Il raconte également la rencontre entre Kubowitz et Pie XII, le premier frappé par la ressemblance du pape avec son oncle Morris.
Il donne un compte rendu surprenant, vu au prisme d'aujourd'hui, de ces responsables en temps de guerre qui modérèrent leur zèle à récupérer les enfants juifs, en réalisant que s'ils voulaient obtenir l'appui du vatican, il leur fallait prendre en compte ses préoccupations.
Ainsi, connaissant la signification du baptême pour l'Eglise (le sacrement d'appartenance à la communauté chrétienne), ils n'exigèrent pas le retour des enfants juifs dont les parents, pour les sauver, avaient volontairement fait baptiser. Ils ne pressèrent pas Pie XII à faire une communication à l'ensemble de l'Eglise - bien qu'ils fussent déçus qu'il ne le fit pas - qui aurait donné l'ordre aux couvents catholiques et aux familles de rendre les enfants juifs qu'ils avaient recueillis.
M. Kubowitzki, dans son journal, écrit même qu'il déclara au pape que les Juifs ne réclameraient pas les enfants baptisés, un passage curieusement excisé quand le journal fut publié quelques années plus tard.
"Ils semblaient réaliser que Pacelli venait d'un monde différent, et ils pensaient que s'ils voulaient obtenir des progrès, il leur fallait se trouver sur la même longueur d'onde que le vatican," déclara le professeur Marrus lors d'un entretien à son bureau de l'Université de Massey à Toronto, dont il est doyen.
"Nous savons qu'ils ne sont pas sortis de ces réunions [avec le pape] en se disant "quel salaud de pape". Ils n'avaient vraiment pas l'impression que Pacelli essayait de leur mettre des bâtons dans les roues. Maintenant nous savons mieux pourquoi."
Ce qui provoquera sans nul doute l'onde de choc la plus forte dans ces débats sur Pie XII et les enfants juifs, est la révélation du professeur Marrus que les responsables juifs les plus impliqués dans la récupération de ces enfants estimèrent pour leur part que leurs efforts furent largement couronnés de succès, reconnaissant l'aide considérable du Vatican.
"Aucune de ces découvertes ne change notre opinion à 180°," déclara le professur Marrus. "Elles approfondissent seulement nos connaissances."
Ces découvertes, qu'il doit rendre public à l'occasion d'une conférence à Edmonton ce soir, le jour suivant le quarantième anniversaire de "Nostra Aetate", le document de vatican II ayant initié le rapprochement entre les Juifs et l'Eglise catholique, ne passeront certes pas inaperçues.
Le professeur Marrus fut l'un des membres de la commission internationale d'historiens mixtes catholiques et juifs désignés par le Vatican pour étudier les archives de l'Eglise pendant la Seconde Guerre mondiale (la commission s'est dissoute en 2001, arguant qu'elle ne ferait aucun progrès tant que les archives du Vatican de cette période ne seraient pas ouvertes.) Il occupe la Chaire de recherches sur l'Holocauste à l'université de Toronto.
A bien des égards la façon dont il découvrit toutes ces données est aussi intéressante les découvertes elles-mêmes.
Il résidait alors dans son cottage du lac Simcoe au nord de Toronto quand il reçut un appel d'un journaliste de l'Associated Press de Rome, lui demandant de commenter un document tout juste publié concernant la garde des enfants juifs par des catholiques.
Pour les spécialistes de l'Eglise pendant la Seconde Guerre mondiale et l'après-guerre, expliqua le professeur Marrus, rien dans ce document n'était particulièrement neuf ou surprenant, tout spécialement sur ce sujet aussi sensible du baptême.
"Les enfants qui ont été baptisés," disait ce document daté du 23 octobre 1946, " ne doivent pas être confiés à des institutions qui ne seraient pas en position de leur garantir une éducation chrétienne."
Ce document indiquait aussi que les enfants qui n'avaient plus de parent et étaient sous la garde de l'Eglise ne pouvaient être confiés à quiconque n'ayant aucun droit sur eux, du moins temps que ces enfants ne seraient pas en état de choisir eux-mêmes." Le document concluait en disant que les enfants qui n'avaient pas été baptisés pouvaient être rendus à leurs parents.
Peu de temps après, un deuxième document apparut mystérieusement, cette fois en italien, signé par Domenico Tardini, un proche collaborateur du pape [Pie XII].
Le déroulement des faits ainsi reconstitué par les historiens est que le nonce du pape (ie l'ambassadeur) en France demanda au Vatican quelles instructions il devait donner aux évêques de France sur la question de la restitution des enfants juifs, et ce mémo de Tardini en était la réponse, à partir de laquelle le nonce rédigea peut-être un résumé - ce document en français qui fit surface la première fois.
L'identité du nonce [si on suppose que c'est bien le nonce qui rédigea la note en français, ce document ne comportant aucune signature, N.d.T] déclara le professeur Marrus, est "l'une des pièces du puzzle les moins explicables dans cette histoire." Il s'agit d'Angelo Roncalli, le futur pape Jean XXIII, qui fut pendant la guerre nonce en Grèce et en Turquie, où il fit preuve d'une grande sympathie pour les Juifs réfugiés, qu'il assista activement à travers l'Europe.
Le document de Tardini - en bien des aspects identiques au résumé français - stipule clairement qu'il ne concerne que les institutions juives et non les parents d'enfants à restituer. Il contenait l'instruction "qu'il ne fallait pas donner de réponse au Grand Rabbin de Palestine" à ses demandes concernant les enfants juifs.
C'est cette référence au rabbin Herzog qui intrigua Michael Marrus.
Il savait que le rabbin Herzog avait rencontré le pape le 10 mars 1946. "Cela [le mémo de Tardini] m'a poussé à m'interroger sur les traces qui restaient de cette rencontre. Vous ne partez pas d'un entretien avec le pape sans avoir rien obtenu. Nous avons tous été focalisés sur les archives du Vatican. Personne ne s'est interrogé sur la version juive de cette histoire. C'était évident ! Pourquoi n'y avais-je pas pensé plus tôt ?"
Avec l'aide d'un autre chercheur, le professeur Marrus a laborieusement épluché les documents du Centre des Archives Sionistes d'Israël, jusqu'à obtenir un résultat satisfaisant sur la façon dont les autorités juives et catholiques avaient abordé et réglé le problème des enfants juifs.
"J'ai toujours pensé que c'était une erreur de considérer ces questions en noir et blanc," déclara-t-il. "Non pas que je considère Pacelli comme une personne exemplaire. Il ne s'intéressait pas plus que ça aux Juifs. Sa préoccupation était la survie de l'Eglise pendant la guerre."
Note : L'étude du professeur Michael Marrus "The Vatican and the Custody of Jewish Child Survivors after the Holocaust", peut être obtenue sur ce site : http://hgs.oxfordjournals.org/cgi/content/abstract/21/3/378