Memoires Eichmann

De wikipie12
Révision datée du 19 septembre 2007 à 15:35 par Cdebalorre (discussion | contributions) (Introduction)
Aller à : navigation, rechercher

Introduction

Ce texte est tiré des "Mémoires" d'Eichmann, rédigés par ses soins en captivité au début des années soixante. Cet extrait concerne la "solution à la question juive" telle qu'elle fut mise en oeuvre en Italie à partir de la fin 1943. Il nous renseigne sur deux points au moins :

  1. la façon dont Eichmann tente, dans un style très technocratique et très laborieux, de diluer sa responsabilité en faisant intervenir un nombre important d'intermédiaires et exécutants, où l'on ne sait plus très bien en définitive qui est responsable de quoi. Pour résumé : "je ne suis qu'un petit fonctionnaire qui se contentait de transmettre des notes d'information à mes supérieurs."
  2. dans le cas précis de l'Italie, de la façon dont l'Eglise a réagi face aux rafles organisées contre les Juifs. Ici, l'éclairage est extrêmement significatif car au moins dans cet exemple, il valide entièrement et objectivement [nous parlons ici des faits, non de l'auteur] la politique d'action dans la discrétion du Vatican.

Voici ce que nous pouvons observer de son compte-rendu :

  1. la protestation énergique, voire violente [le mot utilisé dans le texte original est "heftig"] de l'Eglise aux autorités allemandes contre les rafles. La protestation n'est pas publique, et elle se fait par des canaux plus ou moins officieux (l'évêque Hudal n'est pas un plénipotentiaire). Il est impossible de parler à propos du Vatican d'un silence complice.
  2. la discrétion de la protestation est une arme de chantage diplomatique, un moyen pour le Vatican de faire pression : vous stoppez les rafles, ou nous formulons une protestation publique. Il est évident que si le pape avait d'abord protesté publiquement, outre le risque d'accélerer en représailles les arrestations jusque dans les enceintes religieuses, il aurait grillé par là le seul atout qu'il avait en main.
  3. il résulte de cette intiative des retards et des délais dans l'exécution des ordres de Himmler, permettant à la majorité des Juifs de se cacher : "Les protestations qui s’étaient élevées de divers côtés firent trainer en longueur les mesures nécessaires jusqu'à ce que la majorité des Juifs ait pu se cacher."

Cet exemple précis, concret, factuel, nous semble l'illustration parfaite de la politique suivie par le Vatican : faire l'impasse sur la posture et privilégier l'action efficace.
Nous ne disons pas que cette politique a obligatoirement fonctionné dans toutes les situations avec la même efficacité, mais ici, il nous semble indubitablement que ce fut le cas : si l'Eglise n'avait réellement joué aucun rôle d'opposition dans cet affaire, pourquoi Eichmann aurait-il consacré un paragraphe entier aux problèmes relationnelles entre l'Eglise et les autorités nazies ?
Le résultat est qu'au final, de nombreux Juifs ont pu échapper aux rafles (et pour une grande partie trouver refuge dans des institutions religieuses).

Il nous semble que c'est cela qui importe. Nous ne pensons pas que les personnes traquées aient été le moins du monde offusquées par le pseudo-silence du pape...


Mémoires : chapitre "Les Italiens"

375/AE 54 - 5 - Les documents - en partie déjà mentionnés au chapitre "France" - montraient très clairement pour une fois l'attitude des Ialiens vis-à-vis de la question juive, et ils montraient aussi d’autre part de façon tout aussi claire quelles personnalités de l'ex-régime nazi jouèrent les rôles compétents. Ils montraient plus loin les efforts de l'ancien gouvernement du Reich [allemand] pour obliger les Italiens à changer leur position. Ils n'y réussirent que vers la fin de l'année 1943.

L'envoyé Moelhausen télégraphie le 6 octobre 1943 à Ribbentrop que Berlin avait confié une tâche particulière au Lieutenant-Colonel SS Kappler en poste à Rome - il dépendait en quelque sorte, en tant que commandant en chef de la Police de sécurité [SicherheitsPolizei] à Rome, du commandant en chef de la Police de sécurité en Italie, le Général de division de la Police Harster, dont le siège se situait à Vérone. Il devait faire arrêter les huit mille Juifs résidant à Rome et les convoyer dans le nord de l'Italie où ils devaient être liquidés. Le commandant de la place de Rome, le Général Stahel, fait part à l'envoyé Moelhausen que cette action ne peut être autorisée que si elle vient du ministère des Affaires étrangères.


/375/AE 55 Il est personnellememnt d'avis qu'il serait préférable que les Juifs soient enrôlés à des travaux de fortifications, et, en accord avec Kappler, voulait exposer ceci au Maréchal Kesselring. (60) Le 9 octobre Ribbentrop répondit qu'en raison des instructions d'Hitler, ces huit mille Juifs devaient être amenés à Mauthausen comme otages. (61)

Kappler déclara comme témoin assermenté le 27 juin 1961 à la prison militaire de Gaeta (Italie), à propos de cette procédure, qu'il n'avait pas eu la moindre connaissance de l'existence d'un tel télégramme de Moelhausen pour Ribbentrop : il n'a vu ce télégramme la première fois qu'à l'occasion de son procès en 1948 - ou plutôt il ne pris connaissance de son existence qu'à ce moment là. Kappler en revanche se souvient bien d'un télégramme signé par Himmler, dans lequel il insistait sur l'urgence de régler la question juive également dans la ville de Rome.

Il se souvient de plus que c'est à cette occasion qu'il comprit pour la première fois ce que signifiait la solution finale à la question juive (note : la phrase n'est pas très claire, mais "l'occasion" fait référence ici vraisemblablement au procès et au télégramme de Moelhausen , non à celui de Himmler). Cette expression lui était cependant nouvelle et il ne parvint pas à la déchiffrer. A ce moment débarquait chez lui le capitaine SS Dannecker, avec un mandat pour

/367/AE 56

exécuter une rafle de Juifs. Ce mandat était signé du Général SS (de la Police) Müller. (62) Kappler n'a entendu mon nom, d'après sa déposition, qu'en 1945 par la presse, pas plus qu'il ne reçut de courrier ou d'instructions ayant porté ma signature.

Lors d'une réunion d'information entre Müller et le Dr von Thadden le 16.X.1943, Müller déclara au conseiller de la légation des Affaires étrangères qu'il n'était pas le moins du monde fermé aux arguments des Affaires étrangères en faveur d’une action soudaine, spécialement en Italie, et en particulier au vu de la position de l'Eglise Catholique. Mais les forces existantes ne suffiraient pas pour exécuter une telle [action] à travers toute l'Italie. On commencerait donc bon gré mal gré à s'attaquer à la question juive immédiatement derrière la ligne de front en poursuivant graduellement vers le Nord. Le conseiller de la légation, le Dr von Thadde, remarqua en plus dans un rapport pour son secrétaire d'Etat, que Müller quant à lui avait manifestement des inquiétudes certaines sur l'exécution pratique de l'ordre d'Hitler relatif à la capture des huit mille Juifs de Rome. (63) En effet [les instances de] l'Eglise catholique de Rome,

/377/AE 57

s'adressant par écrit à travers l'évêque Hudal au Commandant de la place de Rome, le Général Stahel, avait violemment pris position contre l'emprisonnement des ressortissants Juifs italiens, avec le désir que ces emprisonnements soient aussitôt stoppés dans Rome et ses environs, autrement le pape prendrait publiquement position contre cette action. L'ambassade d'Allemagne auprès du Saint-Siège confirma que la Curie s'était déjà particulièrement émue de ce que les dernières arrestations se soient produites pour ainsi dire sous les fenêtres du Vatican. Une copie de ce courrier arriva aussi de son côté sous forme d'extraits via les Affaires étrangères à mon département.(64) Dans tous les cas, je le fis suivre à mon chef. Mais sans tenir compte de tout cela, le gouvernement italien avait entre temps promulgué une loi stipulant que tous les Juifs d'Italie devaient être déportés en camp de concentration. Simultanément l'Office central de la sécurité du Reich à Berlin constatait que l'action ordonnée par Himmler en Italie,la capture des Juifs italiens, n'avait produit aucun résultat notable. Les protestations qui s’étaient élevées de divers côtés firent trainer en longueur les mesures nécessaires jusqu'à ce que la majorité des Juifs ait pu se cacher. (65)

/378/AE 58

Wagner, le successeur de Luther, sous-secrétaire envoyé en camp de concentration pour de prétendus jeux d'intrigue, écrit le 14 décembre 1943 au chef du bureau IV de Müller que l'ambassadeur allemand Rahn était mandaté pour exprimer la statisfaction du gouvernement du Reich au gouvernement fasciste, à propos de cette loi relative à la déportation de tous les Juifs d'Italie dans les camps de concentration et vraiment si nécessaire. En revanche, il ne semblait pas judicieux de livrer tous les Juifs regroupés dans des camps pour les évacuer [ultérieurement] dans les territoires de l’Est (note : les territoires occupés par les Allemands en Europe Orientale – terme consacré) Une pareille demande doit être repoussée pour des raisons tactiques et politiques jusqu'à ce que la capture des Juifs par les services italiens soit bouclée ; les Affaires étrangères pensent devoir supposer en raison de leur expérience que dans le cas contraire le succès de la capture serait pour l'essentiel compromis, pour ne pas dire simplement voué à l'échec. Suite au manque de zèle des services italiens dans les derniers mois pour exécuter les mesures antijuives ordonnées par Mussolini, les Affaires étrangères tiennent (toujours selon cette lettre) pour souhaitable et urgent que l'exécution des mesures

/379, 380/AE 59

soit désormais supervisée par les services allemands. C'est pourquoi il semble nécessaire de mettre place dans l’appareil italien une partie de l’unité des commandos d’intervention affectés à l’Italie camouflés en conseillers . En conclusion les Affaires étrangères demandent d'en informer l'unité des commandos d’intervention en Italie, et d’ordonner au capitaine Dannecker de prendre immédiatement contact avec le plénipotentiaire du Reich, l'ambassadeur Rahn, ou son représentant, concernant la mise en place éventuelle de conseillers.

A l'occasion de son plaidoyer contre moi au procès de Jérusalem en 1961, le procureur général israélien déclara entre autres que beaucoup d'écrivains devraient sans doute ré-écrire leurs ouvrages déjà publiés, en raison des nouvelles connaissances apportées par le procès. Je suis exactement de cet avis. Je suis pareillement moi-même concerné, car là où l'on me présentait de façon inconsidérée comme le responsable - alors que cela était tout simplement le résultat d'une simple construction, d'une supposition qui fut prise pour argent comptant - il faut désormais prendre en compte la vérité historique qui s'impose grâce au procès.

(/379/)

Ce souhait qui est mien sera bien compris de chacun ; car je ne suis en définitive pas de nature héroïque. C’est pourquoi je me suis moi-même efforcé en m’attelant à cette tâche de m’en tenir strictement, dans les documents officiels de l'époque,aux éléments concernant mon domaine d’attributions.
Je me suis restreint dans les lignes de cet ouvrage pour l'essentiel aux documents qui traitent de la direction politique suivie.
De crainte de fatiguer le lecteur, je n’ai pas pris en considération l'abondante somme des documents annexes - dans lesquels, naturellement, ma personne joue constamment un certain rôle - d’une part en raison de la constante répétition des faits, et d’autre part parce qu'elle n'a pas de signification fondamentale susceptible de donner un nouveau point de vue. Un traitement global incluant les plus petits détails doit de fait rester reservé aux spécialistes de la question.