Actes documents
La légende à la lumière des archives.
A propos des accusations récurrentes contre le pape Pie XII.
Par Pierre Blet, S.J.
L'article original a paru dans le numéro 3546 du 21 mars 1998 de "La Civiltà Cattolica".
Article original
Avertissement : cette traduction est d'une suprême inélégance, puisque réalisée à partir d'une traduction anglaise d'un article en italien d'un chercheur français... Nous n'avons malheureusement pas pu procéder autrement, mais nous pensons que la présente ne trahit en aucune façon la pensée de l'auteur.
Quand il mourut le 9 octobre 1958, Pie XII fut l'objet d'hommages admiratifs et de gratitude unanime : "le monde", déclara le président Eisenhower, "s'est appauvri depuis la mort de Pie XII". Golda Meir, ministre des affaires étrangères de l'Etat d'Israël déclara : "La vie de notre temps fut enrichie par une voix énonçant les grandes vérités morales au dessus des tumultes des conflits quotidiens. Nous regrettons un grand serviteur de la paix" 1. Quelques années plus tard pourtant, vers 1963, il devint le sujet d'une légende noire : pendant la guerre, disait-on, par calcul politique et lâcheté, il demeura impassible et silencieux face aux crimes contre l'humanité qu'il aurait pu empêcher s'il était intervenu.
Quand les accusations sont basées sur des documents il reste possible de discuter de leur interprétation, de vérifier s'ils n'ont pas été mal compris ou reçus d'une façon non-critique, mal présentés ou choisis sélectivement. Mais quand une légende est créée à partir d'éléments douteux ou avec l'aide de l'imagination, la discussion ne mène à rien. La seule chose qu'il est possible de faire, c'est de contrer cette légende avec la réalité historique prouvée par une documentation incontestable. Pour cette raison, le pape Paul VI, qui fut l'un des plus proches collaborateurs de Pie XII en tant que vice-secrétaire d'Etat, autorisa dès 1964 la publication de documents du Saint-Siège relatifs à la seconde guerre mondiale.
Présentation des Actes et Documents
Les archives de la secrétairerie d'Etat préservent les dossiers dans lesquels il est souvent possible de suivre jour après jour, parfois heure par heure, les activités du pape et ses services. On y trouve des messages et déclarations de Pie XII, les lettres echangées entre le pape et les autorités civiles ou ecclésiales, des notes la secrétairerie d'Etat, des notes de service de responsables subalternes à leurs supérieurs pour communiquer des informations ou des suggestions et, en plus de cela, des notes privées (en particulier celles de Monseigneur Domenico Tardini qui avait l'habitude, bénédiction pour les historiens, de penser avec un stylo en main), la correspondance entre la secrétairerie d'Etat et les représentants du Saint-Siège à l'étranger (nonce apostolique, internonce et délégués) et les notes diplomatiques échangées entre la secrétairerie d'Etat et les ambassadeurs ou ministres accrédités auprès du Saint-Siège. Ces documents sont pour la plupart envoyés avec le nom et la signature la secrétairerie d'Etat ou du secrétaire de la première section de la secrétairerie d'Etat : ceci ne les empêche pas d'exprimer les intentions du pape.
Sur la base de ces documents il aurait été possible d'écrire un ouvrage décrivant l'attitude et la politique du pape pendant le seconde guerre mondiale. Ou bien un rapport officiel aurait pu être produit pour démontrer l'inanité des accusations portées contre Pie XII. Puisque le principale grief était celui du silence, il aurait été particulièrement facile d'utiliser ces documents pour illustrer l'action du Saint-Siège en faveur des victimes de la guerre et en particulier en faveur des victimes des persécutions racistes. On considéra plus approprié d'entreprendre la publication complète des documents relatifs à la guerre. Diverses collections de documents diplomatiques existaient déjà, dont bien des volumes traitaient de la seconde guerre mondiale : documenti; diplomaciti italiani ; documents on British Foreign Policy : 1919-1939; Foreign Relations of the United States; diplomatic papers, Akten zur deutschen auswartigen Politik 1918-1945. Etant donné l'existence de telles collections et sur la base de tels modèles, il semblait utile de permettre aux historiens d'étudier à partir des documents le rôle et l'action du saint-Siège pendant la guerre. C'est dans cette perpective que commença la collection intitulée "Actes et documents du Saint Siège relatifs à la seconde guerre mondiale" 2.
La difficulté résidait dans le fait que pour cette période, les archives - à la fois celles du Vatican et des autres Etats - étaient fermées au public ainsi qu'aux historiens. L'intérêt particulier pour les évènements de la seconde guerre mondiale, le désir d'en écrire l'histoire sur la base de documents et plus seulement sur des comptes-rendus ou témoignages plus ou moins directs, conduisirent les Etats impliqués dans ce conflit à publier des documents jusque là inaccessibles au public. Les personnes de confiance chargées de cette tâche sont soumises à certaines règles : ne pas publier de documents qui mettraient en cause des personnalités encore viantes ou qui, s'ils étaient publiés, gêneraient des négociations en cours. Sur la base de ces critères, les "Volumes of the Foreign Relations of the United States relating to the Forties" furent publiés et les mêmes critères s'appliquèrent pour la publication des documents du Saint-Siège.
La tâche de publier les documents du Saint-Siège relatifs à la guerre fut confiée à trois prêtres jésuites : Angelo Martini, directeur de la Civilita Cattolica qui avait déjà un accès aux archives secrètes du Vatican, Burkhart Schneider, et l'auteur du présent article, tous deux professeurs à la faculté d'histoire de l'Eglise à l'université pontificale grégorienne. Le travail commença au début de janvier 1965, dans un bureau près des locaux contenant les archives de ce qu'on appelait alors la Congrégation pour les Affaires Pontificales Extraordinaires et la Première section de la secrétairerie d'Etat ; les documents relatifs à la guerre étaient habituellement entreposés là.
Dans de telles conditions, le travail était à la fois facile et difficile. La difficulté résidait dans le fait que puisque les archives n'étaient pas ouvertes au public, il n'y avait pas eu d'inventaire systématique orienté vers la recherche, et les documents n'étaient classés ni dans l'ordre chronologique ni dans l'ordre géographique. Ceux de nature politique, et donc relatifs à la guerre, étaient quelquefois stockés avec des documents de nature religieuse, canonique, ou même personnelle, placés dans des boîtes assez pratiques mais au contenu parfois très diverse. Une information relative à la Grande-Bretagne pouvait parfois se trouver dans des dossiers concernant la France, si elle avait transité par le nonce en France, et évidemment les interventions en faveur des otages belges étaient dans les cartons du nonce à Berlin. Il était par conséquent nécessaire d'examiner chaque boîte et de parcourir tout son contenu afin d'identifier les documents pertinents à la guerre. Les recherches étaient cependant simplifiées, grâce à un vieux règlement en vigueur à la secrétairerie d'Etat depuis l'époque d'Urbain VIII : les nonces ne devaient traiter dans une lettre que d'un seul sujet.
En dépit de ces difficultés, certaines circonstances ont rendu notre tâche plus facile. Puisque nous travaillions dans un bureau de la secrétairerie d'Etat en tant que membre de la Commission, nous n'étions pas liés par les conditions imposées aux chercheurs ayant accès aux archives publiques dans les zones de consultations ; l'un de nous pouvait prendre les boîtes de documents directement sur les étagères. Notre tâche fut aussi rendue considérablement plus facile par le fait que la documentation fut en grande partie typographiée et stockée en feuilles séparées (sauf pour les manuscrits devant être tapés pour le bureau des impressions). Ainsi, lorsqu'un document était jugé pertinent à la période de la guerre il pouvait être simplement pris et photocopié, et la photocopie avec les explications - notes souvent nécessaires aux travaux des spécialistes - données au bureau des impressions.
Bien que durant l'hiver 1965 les travaux avançaient suffisamment vite, nous décidâmes de solliciter l'aide du père Robert Leiber, qui s'était retiré à l'université allemande après avoir servi pendant plus de trente ans comme secrétaire privé de Pacelli, d'abord quand ce dernier fut nonce, puis secrétaire d'Etat, et finalement pape. Leiber avait suivi la situation en Allemagne de près, et ce fut lui qui nous révéla l'existence de brouillons de lettres de Pie XII aux évêques allemands. Ceux-ci devinrent le matériau du second volume de la série et sont les documents qui révèlent le mieux la pensée du pape.
Les volumes individuels
Le premier volume, qui couvre les premiers dix-sept mois du pontificat (mars 1939 - juillet 1940) et qui révèle les efforts de Pie XII pour empêcher la guerre, fut publié en décembre 1965 et fut globalement bien accueilli. En 1966, tandis que le père Schneider s'occupait de préparer le volume des lettres aux évêques allemands, le père Robert Graham, un jésuite américain du magazine America qui avait déjà publié des travaux sur la diplomatie du Saint-Siège (Vatican Diplomacy), demanda des informations concernant la période sur laquelle nous travaillions. En réponse à cette demande, il fut invité à se joindre à notre groupe, ce qui fut d'autant plus utile que nous découvrimes que Pie XII entretenait des contacts de plus en plus fréquents avec Roosevelt et que nous rencontrions des documents rédigés en anglais assez souvent. Il travailla directement à la préparation du troisième volume, qui fut consacré à la Pologne et fut organisé sur le modèle du deuxième volume qui traitait des relations entre le Saint-Siège et les évêques. Mais les échanges directs de lettres avec les autres évêques s'avérèrent moins intenses, et donc les volumes deux et trois (en deux parties) restèrent les seuls dans leur genre. Nous décidâmes alors de diviser les documents en deux sections : l'une devait être la continuation du premier volume, pour les questions essentiellement de nature diplomatique - ainsi que l'indique leur titre "Le Saint-Siège et la guerre en Europe", "Le Saint-Siège et la guerre mondiale". Ceux-là étaient les volumes 4, 5, 7, et 11. Les volumes 6, 8, 9, 10 intitulés "Le Saint-Siège et les victimes de guerre" présentent dans un ordre chronologique les documents concernant les efforts du Saint-Siège pour aider tous ceux qui souffrèrent matériellement et moralement à cause de la guerre : prisonniers séparés de leur famille et exilés loin de leurs proches, peuples subissant les destructions de la guerre, victimes de persécutions raciales.
Le travail dura plus de quinze années ; le groupe répartit la charge de travail selon les volumes prévus et le temps que chaque membre pouvait y consacrer. Le père Leiber, dont l'aide fut pour nous inestimable, nous quitta, emporté par la mort, le 18 février 1967. Le père Schneider, après la publication des lettres aux évêques allemands et tout en continuant à enseigner l'histoire moderne à l'université grégorienne, se consacra à la partie sur les victimes de la guerre. Avec l'aide du père Graham, il prépara les volumes 6, 8 et 9, qui furent achevés à la Noël 1975. Mais durant l'été de cette même année, il fut frappé par une maladie qui l'emporta au mois de mai suivant. Le père Martini, qui se consacra à plein-temps à ce travail et collabora d'une manière ou d'une autre à tous les volumes, n'eut pas la satisfaction de voir cette entreprise atteindre son terme : il put seulement voir les épreuves du dernier volume au début de l'été 1981, avant de décéder à son tour. Le volume 11 (dernier de la série) sortit fin 1981 sous les auspices du père Graham et moi-même. Ainsi le père Graham, bien que le plus âgé d'entre nous, put travailler jusqu'au terme de ce projet. Pendant ces quinze années il put aussi travailler à faire des recherches et publications sur le même sujet, dont la plupart parut sous forme d'articles dans la Civilta Cattolica, et qui eux-mêmes constituent une source d'information que les historiens de la seconde guerre mondiale peuvent consulter avec profit. Il quitta Rome le 24 juillet 1996 pour retourner dans sa Californie natale, où il finit ses jours le 11 février 1997.
Depuis le début 1982, j'ai repris mes propres recherches sur la France du XVII° et la diplomatie pontificale. Mais constatant que quinze ans après nos volumes restaient inconnus de bien des historiens, je consacrai les années 1996-97 à en tirer leurs essence et conclusions dans un seul tome de taille modeste, mais aussi complet que possible 3. Une lecture dépassionnée de cette documentation apporte un éclairage précis sur la réalité concrète de l'attitude et conduite de Pie XII pendant la guerre et, en conséquence, l'inconsistance des accusations portées contre lui. Les documents montrent sans ambiguïté qu'il fit tout son possible dans le domaine diplomatique pour éviter la guerre, dissuader l'Allemagne d'attaquer la Pologne, convaincre l'Italie de Mussolini de se distancer d'Hitler. Il n'y a aucune trace d'un soi-disant parti pris pour l'Allemagne qu'il était censé avoir développé durant sa nonciature en Allemagne. Ces efforts, joints à ceux de Roosevelt pour garder l'Italie en dehors du conflit, les télégrammes de solidarité du 10 mai 1940 aux souverains de Belgique, de Hollande et du Luxembourg après l'invasion de la Wehrmacht, ses courageux avertissements à Mussolini et au roi Victor Emmanuel appelant à une paix séparée ne plaident sûrement pas pour cette thèse. Il serait irréaliste de penser que les hallebardes des Gardes Suisses, ou même une menace d'excommunication, auraient été d'une quelconque efficacité pour stoppper les chars de la Wehrmacht.
Mais l'accusation mainte fois ressassée lui reproche d'être resté silencieux à propos des persécutions raciales visant les Juifs, y compris quand elles aboutirent à leurs conséquences ultimes, et qu'ainsi il ouvrit la porte aux atrocités nazies. Cet apparent silence masquait une activité clandestine de la part des nonciatures et des évêques pour prévenir, ou du moins limiter, les déportations, violences et persécutions. La raison de cette prudence est clairement expliquée par le pape lui-même dans ses différents discours, lettres aux évêques allemands et dans ses consultations avec la la secrétairerie d'Etat. Des déclarations publiques auraient été inutiles ; elles n'auraient servi qu'à aggraver le sort des victimes et en augmenter le nombre.
Des accusations récurrentes
Pour tenter de minimiser ces preuves, les détracteurs de Pie XII on jeté le doute sur le sérieux de nos publications. Un article publié à ce sujet dans un quotidien du soir parisien est à cet égard assez remarquable : "ces quatre jésuites ont produit (!) dans les Actes et Documents des textes qui ont absous Pie XII des omissions dont on l'accusait [...]. Mais ces Actes et Documents sont loin d'être complets". Il est insinué que nous avons omis des documents qui seraient préjudiciables à la mémoire de Pie XII et du Saint-Siège.
Comment l'omission de certains documents aurait aidé à disculper Pie XII de toutes les fautes dont il est accusé, ce n'est pas immédiatement clair. D'un autre côté, déclarer de manière péremptoire que notre publication n'est pas complète c'est affirmer quelque chose de toute façon impossible à prouver : pour le faire, il faudrait comparer notre publication avec les archives et indiquer les documents présents dans les archives et manquant dans notre ouvrage. Combien même les archives pertinentes sont toujours inaccessibles au public, quelques individus allèrent jusqu'à fournir des prétendues preuves de ces absences. En agissant ainsi, ils n'ont réussi qu'à démontrer leur médiocre connaissance de la façon dont sont menées des recherches dans les collections d'archives, dont ils exigent par ailleurs l'ouverture.
Reproduisant une déclaration identique parue dans un quotidien romain le 11 septembre 1997, cet article du 3 décembre affirme que la correspondance entre Pie XII et Hitler est absente de notre ouvrage. Notons tout d'abord que la lettre par laquelle le pape informa le chef d'Etat du Reich de son élection est le dernier document publié dans le second volume des Actes et documents. Pour le reste, si nous ne publiâmes aucune correspondance entre Pie XII et Hitler, c'est parce que cette correspondance n'existe que dans l'imagination du journaliste. Ce dernier mentionne des contacts entre Pacelli, alors nonce en Allemagne, et Hitler, mais il aurait dû vérifier les dates. Hitler vint au pouvoir en 1933 et donc n'aurait pu que rencontrer le nonce apostolique après cette date. Mais l'archvêque Pacelli fut rappelé à Rome en décembre 1929 ; Pie XI l'avait créé cardinal le 16 décembre 1929 et nommé secrétaire d'Etat le 16 janvier 1930. Plus important, si une telle correspondance avait existé, les lettres du pape auraient été conservées dans les archives allemandes, et il aurait été naturel d'en trouver trace dans les archives du ministère des affaires étrangères du Reich. Les lettres d'Hitler auraient fini au Vatican, mais on en aurait fait également mention dans les instructions données aux ambassadeurs allemands, Bergen et Weizacker qui étaient chargés de les délivrer, et dans les rapports écrits par ces diplomates confirmant qu'ils les ont bien transmises au pape ou secrétaire d'Etat. Il n'y a aucune trace de tout ceci. Il n'y a rien de tout ceci. En l'absence de telles références, on constate que le serieux de notre publication a été mise en cause sans l'once d'une preuve.
Ces observations sur la prétendue correspondance entre le pape et le führer sont aussi valables pour d'autres documents, qui eux existent réellement.Très fréquemment, les documents du Vatican, par exemple des notes échangées avec des ambassadeurs, sont attestés par d'autres archives. On peut supposer que beaucoup de télégrammes du Vatican furent interceptés et décodés par les services de renseignements des nations belligérantes, et que des copies peuvent être trouvées dans leurs archives. En conséquence, si nous avions cherché à cacher certains documents, il aurait été toutefois possible d'établir leur existence et ainsi avoir une base sur laquelle jeter le doute sur le sérieux de notre travail.
Ce même article du quotidien parisien, après avoir imaginé des liens entre Hitler et le nonce Pacelli, se réfère à un article du Sunday Telegraph de juillet 1997 qui accuse le Saint-Siège d'avoir utiliser de l'or nazi pour aider les criminels de guerre à fuir en Amérique du Sud, et en particulier le Croate Ante Pavelic : "certaines études soutiennent cette thèse". On est étonné de la légèreté avec laquelle les journalistes se fient à leurs sources. Les historiens, qui travaillent souvent des heures pour vérifier leurs sources, les envieront. On peut comprendre qu'un journaliste fasse confiance à un collègue, surtout lorsque le nom aglo-saxon du journal lui donne un air de respectabilité. Mais il y a deux autres déclarations qui méritent d'être étudiées séparément : l'une concernant l'arrivée dans les coffres du vatican de l'or nazi, ou plus exactement de l'or appartenant aux Juifs et volé par les Nazis, et l'autre son utilisation pour faciliter la fuite des criminels de guerre nazis en Amérique du Sud.
Des quotidiens américains ont de fait produit un document du "Département du Trésor US" dans lequel celui-ci est informé que le Vatican a reçu, via la Croatie, de l'or nazi d'origine juive. Le fait que ce document émane du "Département du Trésor" peut paraître impressionnant, mais il faut lire ce qui est imprimé à côté de l'en-tête pour découvrir qu'il sagit d'une note basée sur la rapport d'un "informateur romain de confiance". Ceux qui prennent ces déclarations pour parole d'évangile devraient lire l'article du père Graham sur les exploits de l'informateur Virgilio Scattolini, qui vivait d'"informations" concoctées par sa seule imagination et qu'il refilait ensuite à toutes les ambassades, y compris celle des Etats-Unis qui les transférait ensuite avec zèle au Département d'Etat 4. Dans nos recherches sur les archives de la secrétairerie d'Etat, nous ne trouvâmes aucune mention d'une prétendue entrée dans les caisses du Vatican d'or volé aux Juifs. Il va sans dire qu'à ceux qui firent de telles déclarations incombent la responsabilité de fournir des preuves documentées, par exemple des reçus, qui, tout comme les prétendues lettres de Pie XII à Hitler, ne figurent pas dans les archives du Vatican. Dans les archives eux-mêmes, on trouve seulement la prompte réponse de Pie XII quand les communautés juives de Rome furent rançonnées par les SS, qui exigèrent que leur fut remis cinquante kilos d'or. A l'époque, le grand rabbin de Rome se tourna vers le pape pour les quinze kilos manquant, et Pie XII donna l'ordre immédiatement à ses services de faire les arrangements nécessaires 5. Des vérifications récentes aux archives ne donnèrent rien de plus.
L'article sur des criminels de guerre de nazis fuyant en Amérique du Sud avec l'aide prétendue du Vatican n'est pas une nouveauté. De fait, on ne peut exclure la naïveté de certains ecclésiastiques romains qui aurait été exploitée pour faciliter la fuite d'un Nazi. Les sympathies pour le Grand Reich de l'évêque Hudal, recteur de l'église nationale allemande à Rome, sont bien connues ; mais imaginer sur ces bases que le Vatican organisa une filière à grande échelle pour la fuite des Nazis en Amérique du Sud serait comme attribuer une charité héroïque au clergé romain, alors que les projets nazis pour l'Eglise et le Saint-Siège étaient bien connus de Rome. Pie XII s'y réferra dans son adresse au Consistoire du 2 juin 1945, rappelant que les persécutions par le régime [nazi] de l'Eglise s'étaient intensifiées pendant la guerre, "quand ses adhérents maintenaient encore l'illusion que, à la suite de la victoire militaire, ils pourraient éliminer l'Eglise une bonne fois pour toute" 6. Les auteurs auxquels se réfère notre journaliste ont une idée plutôt noble sur le pardon des péchés tel qu'il est pratiqué dans les cercles du Vatican, s'ils s'imaginent que nombre de nazis trouvèrent refuge au Vatican et de là furent exfiltrés en Argentine sous la protection du dictateur Péron, puis au Brésil, Chili ou Paraguay, pour sauver ce qui pouvait être sauvé du Troisième Reich, en vue de la création d'un "Quatrième Reich" au milieu de la Pampas.
Dans ces articles, il est difficile de discerner le vrai du faux. Pour ceux qui aime lire de la fiction nous recommandons l'oeuvre de Ladislas Farago "Martin Bormann et le Quatrième Reich". L'expression "Quatrième Reich" veut d'ailleurs tout dire. L'auteur nous emmène de Rome et du Vatican en Argentine, Paraguay et Chili sur les traces du chef du Reich et autres fuyards nazis de premier plan. Avec une précision des détails digne d'Agatha Christie, il décrit l'exacte position de chaque personnage au moment du crime, indique les numéros des chambres d'hôtel occupés par les fuyards et les chasseurs à leurs trousses, et nous dépeint en détail la Volkswagen verte qui les transporta. On est frappé par la modestie de l'auteur, qui présente son livre comme un "travail d'investigation à la française, une étude sérieuse mais sans prétention dans le pure style académique(!)".
Conclusion
Le lecteur comprendra que les archives du Vatican ne mentionnent rien de tout cela, même si cela s'est réellement produit. A supposer que l'évêque Hudal aida effectivement des dignitaires nazis, il ne serait sûrement pas aller demander la permission au pape. Et s'il lui avait par la suite confié ce qui s'était passé, nous n'en saurions rien aujourd'hui. Parmi les choses que les archives ne révèlent jamais, il nous faut mentionner les conversations entre le pape et ses visteurs, à l'exeption des ambassadeurs qui rendent compte à leur gouvernement, ou de Gaulle qui en parle dans ses Mémoires.
Cela ne veut pas dire que quand des historiens sérieux souhaitent personnellement vérifier les archives d'où les documents publiés ont été tirés, leur désir n'est pas légitime et estimable. Même après une publication faite aussi précisément que possible, la consultation des archives et le contact direct avec les documents contribuent à la compréhension de l'histoire. C'est une chose de semer le doute sur le sérieux de nos recherches, une autre de se demander si peut-être quelque chose nous a échappé. Nous n'avons pas délibérement ignoré quelconque document important pour la raison qu'il nous semblait entâcher l'image du pape et la réputation du Saint-Siège. Mais dans une entreprise telle que celle-ci, la personne en charge du travail est la première à se demander s'il a omis quelque chose. Sans le père Leiber, l'existence des brouillons des lettres de Pie XII aux évêques allemands serait passée inaperçue, et la collection aurait été privée de textes inestimables entre tous pour la compréhension des intentions du pape 7. Cependant, ces lettres ne contredisent en aucune façon ce que nous apprîmes des notes et de la correspondance diplomatique. A travers elles, nous voyons bien le souci de Pie XII de se reposer sur l'enseignement des évêques afin de mettre en garde les catholiques allemands contre les séductions perverses du National Socialisme, plus dangereux que jamais en temps de guerre. Cette correspondance, publiée dans le second volume des Actes et documents, confirme en tout cas la tenace opposition de l'Eglise au National Socialisme, bien que nous avions déjà connaissance des premiers avertissements d'évêques allemands comme Faulhaber, von Galen et bien d'autres religieux et prêtres, et enfin de l'encyclique "Mit brennender Sorge", lue dans toutes les Eglises d'Allemagne le dimanche des rameaux 1937 malgré les menaces de la Gestapo.
On peut donc considérer l'accusation que l'Eglise supporta le Nazisme, ainsi que l'écrivit un journal milanais le 6 janvier 1998 comme un mensonge pure et simple. De plus, les textes publiés dans le cinquième volume des Actes et documents démentent catégoriquement l'idée que le Saint-Siège soutint le Troisième Reich parce qu'il avait peur de la Russie soviétique. Quand Roosevelt sollicita l'aide du Vatican pour vaincre les réticences des catholiques américains contre son plan d'étendre à la Russie en guerre contre le Reich l'aide accordée à la Grande Bretagne, il fut écouté. La secrétairie d'Etat chargea le délégué apostolique à Washington de confier aux évêques américains la tâche d'expliquer que l'encyclique Divinis Redemptoris - qui enjoignait les catholiques à refuser de collaborer avec les partis communistes - ne s'appliquait pas à la situation présente et n'interdisait pas les Etats-Unis d'aider l'effort de guerre soviétique contre le Troisième Reich. Ce sont là des faits incontestables.
Par conséquent, sans vouloir décourager les futurs chercheurs, je doute beaucoup que l'ouverture des archives du Vatican concernant les années de guerre ne change notre compréhension de cette période. Dans ces archives, comme nous l'avons expliqué plus haut, les documents diplomatiques et administratifs sont mélangés avec des documents à caractère strictement personnel ; et ceci exige une fermeture plus longue que dans les archives des ministères des autres pays. Ce qui ne veulent pas attendre mais souhaite étudier en profondeur l'histoire de cette période agitée peuvent travailler avec profit à partir des archives du Foreign Office, du Quai d'Orsay, du département d'Etat, et dans les archives des autres Etats qui ont des représentants accrédités auprès du saint-Siège. Plus que les notes de la secrétairerie d'Etat du Vatican, les dépêches du ministre britannique Osborne évoquent la situation du Saint-Siège cerné dans une Rome fasciste, puis sous le contrôle de l'armée et la police allemande 8. C'est en se consacrant eux-même à de telles recherches, sans exiger une ouverture prématurée des archives du Vatican, qu'ils démontreront que leur souci est bien la recherche de la vérité.
Notes
1 L'Osservatore Romano, 9 October 1958.
2 Actes et documents du Saint-Siege relatifs a la seconde guerre mondiale, edited by P. BLET - A. MARTINI - R. A. GRAHAM (from the third volume) - B. SCHNEIDER, Citta del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 11 volumes in 12 parts (2 parts for volume 3), 1965-81.
3 Cfr P. BLET, Pie XII et la seconde guerre mondiale d'après les archives du Vatican, Paris, Perrin, 1997
4 Cfr R. A. GRAHAM, "Il vaticanista falsario. L'incredibile successo di Vittorio Scattolini", in La Civilta Cattolica 1973 111 467-478.
5 Cfr Actes et documents, vol. 9, 491 and 494.
6 Pius XII, "Consistorial Address" (2 June 1945), in Acta Apostolicae Sedis (1945) 159-168.
7 Thus when we prepared the first volume, it was not known who edited Pius XII's appeal for peace on 24 August 1939, opportunely corrected and approved by the Pope. Only later research allowed us to discover that the editor had been Monsignor Montini (cfr B. SCHNEIDER, "Der Friedensappell Papst Pius' XII. vom 14 August 1939", in Archivum Historiae Pontificiae 6 [1968] 415-414), although it is difficult to attribute particular sections to the two authors.
8 Cfr O. CHADWICK, Britain and the Vatican during the Second World War, Cambridge, 1986.