Righteous
Pie XII,
Un "juste" parmi les papes.
D'après l'article du rabbin David G. Dalin,
Extraits d'un article paru le 26 février 2001 dans le "Weekly Standard" sous le titre original "A Righteous Pope" (lien vers article original).
Avant propos :
Rabbin à New-York, David Dalin est l'une des figures marquantes du monde juif américain. Son livre "Religion and State in the American Jewish Experience", fut reconnu comme l'un des meilleurs ouvrages académiques de l'année 1998. Il donna des conférences sur les relations judéo-chrétiennes à l'université de Hartford au Trinity College, à l'université de George Washington, et au Queen College de New-York. Dans un article publié le 26 février 2001 dans un numéro du "Weekly Standard" [un magazine américain], David Dalin revendique le titre de "juste" pour Pie XII en raison de ses efforts pour sauver les Juifs de l'Holocauste. Nous publions ici des extraits de cet article.
Par David G. Dalin
Bien avant le décès de Pie XII en 1958, l'accusation que son pontificat fut trop bienveillant vis-à-vis du régime nazi circulait déjà en Europe, dans un numéro bien huilé d'agitprop communiste contre l'Occident. Elle fut étouffée sous le flot des éloges venant des Juifs comme des non-Juifs qui suivit la mort du pape, pour ressurgir avec la représentation en 1963 du "Vicaire", pièce d'un écrivain gauchiste allemand (et ancien membre des Jeunesses Hitleriennes) dénommé Rolf Hochhuth. "Le Vicaire" était une fiction des plus polémiques, prétendant que les soucis financiers du Vatican laissa [Pie XII] indifférent aux problèmes des Juifs européens. Mais la pièce de sept heures de Hochhuth reçut néanmoins un accueil considérable, lestant une controverse qui dura toutes les années soixante. A présent, plus de trente ans plus tard, la controverse éclate à nouveau pour des raisons qui ne sont pas immédiatement limpides.
"Eclater" est en vérité inappoprié pour décrire le déluge actuel. Dans ces derniers dix-huit mois, neuf livres sur Pie XII furent publiés : "Le Pape d'Hitler", de John Cornwell, "Pie XII et la seconde guerre mondiale, d'après les archives du Vatican" de Pierre Blet, "Le Péché du Pape", de Gary Wills, "Le Pape Pie XII" de Margherita Marchione, "Hitler, la Guerre et le Pape" de Ronald J. Ryschlak, "l'Eglise catholique et l'Holocauste, 1930-1965" de Michael Phayer, "Sous ses propres fenêtres" de Susan Zucotti, "La diffamation de Pie XII" de Ralph McInerny, et, plus récemment, "L'Epée de Constantin" de James Carroll.
Comme quatre de ces ouvrages, dont ceux de Pierre Blet, Merchione, Rychlack et McInerny prennent la défense du pape (et deux des autres livres, ceux de Wills et Carroll, ne mentionnent Pie XII que dans le cadre d'une attaque plus large contre le catholicisme), le tableau semble équilibré. En fait, à lire les neuf nous concluons que les défenseurs de Pie XII ont le dossier le mieux ficelé, le livre de Rychlak étant le meilleur et le plus scrupuleux des récentes parutions, une oeuvre d'élégante érudition à la fois sérieuse et critique. Et pourtant, ce sont les livres stigmatisant le pape qui reçurent le plus de publicité. (...)
Curieusement, presque tous ceux qui adoptent cette ligne aujourd'hui - des ex-séminaristes John Cornwell et Garry Wills au prêtre défroqué James Carrol- sont des catholiques frustrés ou apostats. Pour les dirigeants juifs de la précédente génération, cette campagne contre Pie XII aurait été vécue comme un choc. Pendant et après la guerre, de nombreux Juifs célèbres - Albert Einstein, Golda Meir*, Moshe Sharett, le rabbin Isaac Herzog et bien d'autres - ont publiquement exprimé leur gratitude au pape Pie XII. Dans son livre paru en 1967, "Les Trois Papes et les Juifs" [titre original "Rom und die Juden"], le diplomate Pinchas Lapide (qui servit comme consul d'Israël à Milan et eut l'occasion de s'entretenir avec des survivants italiens de l'Holocauste) déclara que Pie XII "fut décisif dans le sauvetage d'au moins 700 000 Juifs, et plus probablement jusqu'à 860 000, d'une mort certaine aux mains des nazi." (...)
Le livre de Lapide resta l'oeuvre la plus influente faite par un Juif sur ce sujet ; trente quatre ans après son écriture, beaucoup de documents devinrent disponibles, en provenance des archives du Vatican ou d'ailleurs. De nouveaux centres historiques ont rassemblé une impressionnante collection d'entretiens avec des survivants de l'Holocauste, des aumôniers militaires, ou des civils catholiques. Au vu des récentes attaques, l'heure est venue d'engager une nouvelle défense de Pie XII. (...)
En janvier 1940 par exemple, le pape dans une allocution radio révéla "les horribles cruautés d'une tyrannie barbare" que les nazis infligeaient aux catholiques et Juifs polonais. Dans son rapport sur cette allocution, le Cercle Juif de Boston l'accueillit pour ce que c'était : "une franche dénonciation des atrocités allemandes en Pologne nazie, déclarant qu'ils affronteraient la conscience morale de l'humanité". Le New York Time ouvrit ainsi son éditorial : "A présent le Vatican a parlé, avec une autorité qui ne peut être contestée, et a confirmé les pires indices de la terreur qui ont émergé des ténèbres polonaises." En Angleterre, le Manchester Guardian salua Radio Vatican en tant qu' "avocat le plus puissant de la Pologne torturée."
Toute lecture équitable et attentive des pièces du dossier démontre que Pie XII fut un critique continuel des Nazis. Considérons seulement quelques uns des faits marquants de son opposition d'avant-guerre : des quarante-quatre discours que Pacelli tint en Allemagne en tant que nonce apostolique entre 1917 et 1929, quarante dénoncent divers aspects de l'idéologie nazie émergente. En mars 1935, il écrivit une lettre ouverte à l'évêque de Cologne traitant les nazis de "faux prophètes enflés de l'orgueil de Lucifer." La même année, il attaqua les idéologies "possédées par la superstition de la race et du sang" devant une foule énorme de pèlerins à Lourdes.
A Notre-Dame de Paris deux ans plus tard, il qualifia l'Allemagne "de noble et puissante nation, que de mauvais pasteurs égareront dans une idéologie de la race." Les Nazis sont "diaboliques", confia-t-il à un ami. Hitler "est complètement obnibulé," dit-il à sa secrétaire de longue date Soeur Pascalina. "Tout ce qui ne lui est pas utile, il le détruit ; cet homme est capable de piétiner des cadavres." Dans une réunion en 1935 avec le héro anti-nazi Dietrich von Hildebrand, il déclara : "Il n'y a aucune conciliation possible entre la chrétienté et le racisme nazi ; c'est comme l'eau et le feu." (...)
Alors que Pacelli était son conseiller principal, Pie XI fit sa célèbre déclaration à un groupe de pèlerins belges en 1938, affirmant : "l'antisémitisme est inadmissible ; spirituellement, sous sommes tous sémites." Et ce fut Pacelli qui élabora l'encyclique de Pie XI "Mit brennender Sorge", "Avec une vive inquiétude", une condamnation du nazisme parmi les plus dures jamais publiée par le Saint Siège. En vérité, durant les années trente, Pacelli fut largement caricaturé par la presse nazie comme le cardinal "des Juifs" de Pie XI, à cause des cinquante-cinq protestations envoyées aux Allemands en tant que secrétaire d'Etat du Vatican.
Il nous faut en sus mentionner les actions de Pie XII pendant la guerre.
Sa première encyclique, "Summi Pontificatus", un cri en faveur de la paix publiée en 1939, fut aussi en partie une déclaration que le rôle de la papauté serait de s'adresser à toutes les parties belligérantes plutôt que d'en faire porter le blâme sur une seule. Mais elle fait aussi allusion explicitement à saint Paul - "il n'y a plus ni Juifs ni gentils" - utilisant le mot 'Juifs' précisément dans un contexte de rejet de la doctrine raciale. Le New York Times mentionna l'encyclique dans sa une du 28 octobre 1939 : "Le pape condamne les dictateurs, les violeurs de traité, le racisme." Les avions alliés larguèrent quantité de copies sur l'Allemagne en vue d'attiser les sentiments anti-nazis.
En 1939 et 1940, le pape Pie XII agit en médiateur secret entre des comploteurs allemands et les britanniques. Il prit des risques similaires pour avertir les alliés de l'invasion imminente de la Hollande, de la Belgique et de la France par les Allemands. (...)
Alors que les évêques français publiaient des lettres pastorales en 1942 condamnant les déportations, le pape Pie XII envoya son nonce protester auprès du gouvernement de Vichy contre "les arrestations inhumaines et les déportations de Juifs de la zone Sud vers la Silesie et divers endroits de Russie." Radio Vatican commenta les lettres des évêques six jours de suite quand écouter cette radio en Allemagne et en Pologne était un crime que certains payèrent de leur vie. "Le pape aurait pris position en faveur des Juifs voués à la déportation hors de France" annonça le New York Time dans sa une du 6 août 1942. "Vichy rafle des juifs; le pape Pie XII ignoré", rapporta le Times trois semaines plus tard. (...)
Pendant l'été 1944, après la libération de Rome mais avant la fin de la guerre, Pie XII déclara ceci à un groupe de Juifs venus le remercier pour sa protection : "Pendant des siècles, les Juifs furent injustement traités et méprisés. Il était temps qu'ils fussent traités avec justice et humanité, c'est la volonté de Dieu et la volonté de l'Eglise. Saint Paul nous dit que les Juifs sont nos frères. Ils devraient aussi devenir nos amis."
Tandis que des centaines d'autres exemples sont dévalorisés un par un dans les récents livres contre Pie XII, le lecteur perd de vue leur surabondance et leurs effets cumulés qui ne laissèrent pourtant de doute à personne - et surtout pas aux nazis - sur les intentions réelles du pape. (...)
Dans son éditorial de Noël 1942, le New York Times déclara : "La voix de Pie XII est une voix solitaire dans un désert de silence et de ténèbre enveloppant l'Europe ce jour de Noël. En appelant à un 'véritable nouvel ordre' basé sur la 'liberté, la justice, et la charité', le pape se positionne sans ambiguïté contre l'Hitlérisme."(...)
Des survivants de l'Holocauste comme Marcus Melchior, grand rabbin du Danemark, affirma que "si le pape avait critiqué ouvertement Hitler, celui-ci aurait probablement massacré plus de six millions de Juifs et peut-être dix foix dix millions de catholiques, s'il avait seulement eu la possibilité de le faire." Robert M.W. Kempner**,fut amené à dire, en sa qualité d'avocat au procès de Nuremberg (dans une lettre à l'éditeur du magazine "Commentary" qui avait publié un extrait de Guenter Lewy en 1964***) : "Le moindre bruit de propagande de la part de l'Eglise catholique contre le Reich d'Hitler n'aurait pas été qu'un suicide provoqué, mais aurait hâté l'exécution d'encore plus de Juifs et prêtres".
C'est là un peu plus qu'une pure vue de l'esprit. Une lettre pastorale des évêques hollandais condamnant les "traitements impitoyables et injustes infligés aux Juifs" fut lue dans les églises hollandaises en juillet 1942. Cette lettre bien intentionnée - se déclarant inspirée par Pie XII - eut un effet inverse. Ainsi que le note Pinchas Lapide : "Le plus triste et ironique de l'histoire fut que tandis que le clergé catholique de Hollande protestait contre les persécutions juives plus vigoureusement, explicitement et fréquemment que les autres hiérarchies religieuses des autres pays occupés, et plus les juifs - quelque 110 000 soit 79 % du total - étaient envoyés en déportation." (...)
On pourrait se demander, bien entendu : qu'est-ce qui est plus terrible que l'élimination en masse de six millions de Juifs ? La réponse est le massacre de centaines de milliers de plus. Et le Vatican travailla à sauver ceux qui pouvaient encore l'être. Ainsi, tandis qu'environ 80 % des Juifs européens périrent pendant la seconde guerre mondiale, 80 % des Juifs italiens survécurent.
Durant les mois où Rome fut sous occupation allemande, Pie XII donna instruction au clergé d'Italie de sauver les vies par tous les moyens. Début octobre 1943, Pie XII demanda aux églises et couvents à travers l'Italie d'abriter les Juifs. En conséquence - et malgré le fait que Mussolini et ses Fascistes cédèrent aux demandes de déportations d'Hitler - beaucoup de catholiques italiens défièrent les ordres allemands.
A Rome, cent cinquante-cinq couvents et monastères abritèrent quelque cinq mille Juifs. Au moins trois mille trouvèrent refuge à la résidence d'été du pape à Castel Gandolfo. Soixante Juifs vécurent pendant neuf mois à l'université Grégorienne, et beaucoup se réfugièrent dans la cave de l'Institut Biblique Pontifical. Des centaines trouvèrent sanctuaire à l'intérieur du Vatican lui-même. Suivant les instructions de Pie XII, les prêtres, moines, soeurs, cardinaux et évêques italiens furent décisifs dans le sauvetage de milliers de Juifs. Le cardinal Boetto de Genève en sauva pas moins de huit cents. L'évêque d'Assise cacha trois cents Juifs pendant deux ans. L'évêque de Campagna et deux de ses parents en sauvèrent neuf cent soixante-et-un à Fiume. (...)
Encore une fois, le témoignage le plus éloquent vint des Nazis eux-mêmes. Des documents fascistes publiés en 1998 (et résumés dans le livre de Marchione "Le pape Pie XII"), mentionnent un plan allemand, au nom de code "Rabat-Fohn", devant être exécuté en janvier 1944. Le plan prévoyait que la 8° division de cavalerie SS, déguisée en Italiens, s'emparerait du Saint-Siège et massacrerait Pie XII et tout le Vatican - en mentionnant explicitement "les protestations du pape en faveur des Juifs" comme justification.
On peut toujours alléguer que l'Eglise catholique aurait dû tenter d'en faire plus - car restent les faits incontestables qu'Hitler a pu prendre le pouvoir, que la seconde guerre mondiale eut lieu, et six millions de juifs ont vraiment péri. Mais cet argument doit s'enraciner dans la réalité que les gens de cette époque, les Nazis comme les Juifs, avaient bien compris que le pape était l'opposant le plus implacable de l'idéologie nazie.
Dès 1940, dans un article du "Time Magazine", Albert Einstein rendait hommage à Pie XII : "Seule l'Eglise se tint solidement en travers du chemin du plan d'Hitler pour supprimer la vérité. Je n'avais jamais eu spécialement d'intérêt pour l'Eglise auparavant, mais je ressens à présent une grande affection et admiration parce que seule l'Eglise a eu le courage et la persévérence de défendre la vérité intellectuelle et la liberté morale. je suis ainsi forcé de confesser que ce que je méprisait avant, je le tiens sans réserve en plus haute estime maintenant."
En 1943, Chaim Weizmann, qui deviendra le premier président d'Israël, écrivit que le "Saint-Siège accorde son aide puissante où il le peut, pour adoucir le sort de mes coreligionnaires persécutés."
Moshe Sharett, le deuxième premier ministre d'Israël, rencontra Pie XII dans les derniers jours de la guerre, et "lui dit que son premier devoir était de le remercier, lui et à travers lui l'Eglise catholique, au nom de tous les Juifs, pour ce qu'ils firent en divers pays pour sauver les Juifs."
Le rabbin Isaac Herzog, premier rabbin d'Israël, envoya un message en février 1944 déclarant : "Le peuple d'Israël n'oubliera jamais ce que Sa Sainteté et ses illustres délégués, inspirés par les principes éternels de la religion qui forment les fondations mêmes des vraie civilisations, font pour nos frères et soeurs infortunés dans les heures les plus tragiques de notre histoire, et qui est la preuve vivante de la divine providence dans ce monde."
En septembre 1945, Léon Kibowitzky, secrétaire général du Congrès Juif Mondial, remercia personnnellement le pape pour ses interventions, et le Congrès accorda 20 000 $ aux oeuvres de charité du Vatican "en reconnaissance du travail du Saint-Siège dans le sauvetage des Juifs des persécutions fascistes et nazies."
En 1955, quand l'Italie célébra le dixième anniversaire de sa libération, l'Union des Communautés Juives Italiennes proclama le 17 avril "jour de Gratitude" pour l'assistance du pape pendant la guerre. (...)
Dénier ainsi la légitimité de leur reconnaissance envers Pie XII équivaut à dénier la crédibilité de leur témoignage personnel et le jugement sur l'Holocauste lui-même. "Plus que tous les autres", se rappelle Elio Toaff, un Juif italien qui survécut à l'Holocauste et devint plus tard grand rabbin de Rome, "nous eûmes l'occasion de faire l'expérience de la grande bonté, compassion et magnanimité du pape durant les années malheureuses de persécutions et de terreurs, quand il semblait que pour nous il n'y avait plus d'issue possible." (...)
Le Talmud enseigne que "celui qui préserve une vie, il lui est compté dans les Ecritures comme s'il avait préservé toute l'humanité." Plus que tous les autres dirigeants du XX° siècle, Pie XII a illustré ce proverbe du Talmud, quand le sort des Juifs européens était en jeu. Aucun pape n'a été aussi largement honoré par les Juifs, et ils ne s'y trompèrent pas. Leur gratitude, ainsi que celle d'une génération entière de survivants de l'Holocauste, témoignent que Pie XII était authentiquement et profondément, un juste parmi les nations.
Note 1 : Golda Meir fut une actrice clé de la formation de l'Etat hébreux en 1948 (cf "Ô Jérusalem" de Larry Collins et Dominique Lapierre)
Note 2 : Robert M.W. Kempner (1899-1993) : juriste et avocat de formation, fut adjoint au procureur général Robert H Jackson pendant le procès de Nuremberg. Il rendit public à cette occasion la conférence de Wannsee qui décida de la "solution finale du problème juif" en 1942.
Note 3 : Guenter Lewy a publié "The Catholic Church and Nazi Germany" un livre controversé de plus (Un tiers de la population allemande est catholique). Il est fait ici sans doute référence à cet ouvrage dont des extraits furent publiés par "Commentary Magazine", mais sans pouvoir le certifier à 100%.